Le Chaman d’ Attila – extrait

Mon père s’appelait Csakó. Il fabriquait des épées et des flèches. C’était un homme aigri.

Je me souviens de lui comme d’un homme corpulent aux mouvements lents. Quand je me remémore sa silhouette, je vois un géant au visage trempé de sueur penché du matin au soir sur son enclume. Il avait un gros défaut. Toute la souplesse qu’il avait en lui, il la transmettait à coups de marteau aux épées et aux sabres qui sortaient de ses mains. C’est sans doute pour cela qu’il fut toute sa vie un être inflexible et obstiné, du moins jusqu’à nos retrouvailles.

Cela expliquait aussi pourquoi il n’était jamais arivé à grandchose, n’ayant d’ailleurs participé qu’à une seule bataille.

Dans mon récit, j’indique les dates à partir de la fondation de la Ville, ainsi tu pourras aisément situer les événements.

En l’an 1127, à l’âge de dix-huit ans à peine, mon père avait accompagné le roi Balamber dans sa campagne contre les Ostrogoths. Après avoir traversé le Don sans descendre de leurs montures, ils passèrent par le détroit de Kertch et pénétrèrent dans la presqu’île de Crimée. Ils remportèrent la bataille. Et quelle victoire ce fut! Au point que le roi des Goths, le fier Ermanric, se donna la mort sans hésiter en se jetant sur son propre sabre. On dit que c’était là une coutume romaine…

Mon père espérait revenir de la guerre riche, propriétaire de vingt chevaux. Mais le Dieu des Huns en décida autrement. Il le rendit infirme et c’est ainsi qu’il le renvoya dans son pays natal. Mon père ne pouvait plus tendre complètement sa jambe gauche à cause d’une blessure de lance. Le Seigneur des Cieux obligeait Csakó, fils d’Uzgon, à demeurer forgeron pour le reste de ses jours. Mais les espoirs qu’il lui avait enlevés en Crimée, il les lui restitua au centuple sous forme d’habileté auprès du soufflet: ses excellentes épées lui valurent l’admiration générale.

Une jeune Hunne aux longues nattes était aussi tombée d’admiration devant lui. Elle s’appelait Rika.

Elle venait musarder jour après jour dans les environs et minauder devant la porte du forgeron. Elle profitait de chaque occasion pour engager la conversation avec cet homme de belle prestance.

C’était ma future mère.